Recension de livre

par Grant Hamilton, traducteur agréé

Un livre sur la grammaire anglaise s’adresse à qui au juste ? Aux enseignants ? Aux locuteurs anglophones ? Aux étudiants de l’anglais, langue seconde ? Voilà le grand défi auquel David Crystal faisait face en s’attaquant à ce sujet vaste et méconnu. Heureusement, il réussit ce tour de force en dosant avec justesse explications grammaticales et exemples pertinents, le tout rehaussé d’anecdotes, de mises en contexte historique et de conseils stylistiques.

Ne vous méprenez toutefois pas : il ne s’agit pas d’une grammaire

Il s’agit plutôt d’un récit qu’on lit d’un trait ou qu’on savoure un chapitre à la fois. L’auteur ratisse large, traitant de l’acquisition de la langue chez l’enfant, de l’analyse grammaticale, de l’enseignement de la grammaire à l’école, des nombreux arrimages entre la grammaire et le style, du phénomène de l’évolution de la langue et de son rayonnement géographique, et enfin de l’importance d’une vision globale axée sur la compréhension et la clarté. De quoi inciter à butiner d’un chapitre à l’autre.

J’ai particulièrement apprécié le choix de l’auteur d’accompagner au fil des chapitres le personnage d’une fillette qui apprend à parler anglais. Nous retrouvons Suzie à plusieurs reprises, chaque fois plus âgée et chaque fois se risquant à une structure grammaticale plus complexe. L’auteur jette ainsi une lumière intéressante sur un processus par lequel tout le monde passe. Utile rappel, car je peine même à me souvenir de mon acquisition du français, langue que j’ai pourtant apprise sur le tard, à partir de mes onze ans.

Certains passages vers le début pourront lasser celui qui connaît déjà la différence entre un sujet, un verbe et un complément (voilà d’ailleurs toute la difficulté de s’adresser à plusieurs publics à la fois). L’auteur passe aussi un bon moment à expliquer l’évolution de la linguistique anglaise et à camper les écoles de pensée en analyse grammaticale. Si l’information n’est pas en soi sans utilité contextuelle, elle captive un peu moins l’esprit. Il faut donc savoir tenir bon.

Les passages sur l’histoire de la langue anglaise sont éclairants

L’intérêt se ravive par la suite. Les passages sur l’histoire de la langue anglaise et l’abandon progressif de ses déclinaisons sont éclairants et ceux sur le phénomène dit d’end-weight, c’est-à-dire l’importance en anglais de mettre à la fin de son énoncé l’élément le plus long, absolument captivants. D’ailleurs, toute personne appelée à rédiger ou à traduire en anglais aura intérêt à lire ses explications à cet égard.

Ce procédé, qui facilite la lecture mais ajoute aussi à la clarté, expliquerait même l’ordre des doublets lexicaux (ce que l’auteur nomme des binomials), qui pullulent en anglais. Ainsi dit-on salt and vinegar et non par vinegar and salt, car vinegar est plus long. À longueur égale, comme dans black and white, c’est souvent la longueur de la voyelle qui fait foi. Certes, des exceptions viennent compliquer le portrait, mais on en trouve aisément la raison : l’ordre chronologique, comme dans life and death ; la puissance, comme dans cat and mouse ; ou les connotations positives, comme dans heaven and hell. Viennent ensuite toute une série de doublets lexicaux dont l’intonation et le rythme sont déterminants. Ce jeu entre longueur, importance, sens, connotation et rythme serait la base même de la bonne écriture.

Une belle importance accordée au style et au sens

Je salue par ailleurs toute l’importance que l’auteur accorde au style et au sens, vases communicants, selon lui, de toute grammaire qui se respecte et qui s’enseigne. C’est une question qui m’interpelle comme traducteur, car à quoi bon une traduction grammaticalement possible, mais inélégante au sens strictement stylistique ? Quiconque maîtrise à la fois la grammaire et les procédés stylistiques de sa langue d’arrivée rend de fiers services à son lecteur.

Autre rappel utile de l’auteur : seule la grammaire des langues mortes ne change pas. J’ai beaucoup aimé son tour d’horizon des changements qui s’opèrent aujourd’hui en anglais, dont l’avancement inexorable du temps de verbe présent progressif (I am loving, qu’on ne rencontrait guère de mémoire d’auteur de ces lignes, dans les années soixante) ainsi que le recul progressif du subjonctif.

Le lecteur francophone restera à l’occasion sur sa faim

Je crois utile d’ajouter que le lecteur francophone de cet ouvrage restera à l’occasion sur sa faim. Par exemple, concernant l’ordre des mots. David Crystal explique que celui-ci est d’une importance capitale en anglais, en précisant ceci au sujet des adjectifs : « Few people realize the complexity of what they’re doing, for the ordering of these words is something they have had to learn ». Et c’est tout. Pas un mot d’explication. Manifestement, il présume que le lecteur est lui aussi anglophone et sait spontanément qu’on dit bright yellow summer cotton dress et non pas cotton yellow summer bright dress.

Il évoque également la simplicité lexicale de l’anglais, langue non flexionnelle, mais ajoute que la fillette anglophone citée en exemple, qui n’a pas besoin de maîtriser les déclinaisons de sa vis-à-vis allemande ou islandaise, doit toutefois composer avec la complexité des prépositions anglaises. Ici aussi, on aurait aimé en apprendre davantage, car qui n’a jamais été confondu par ces verbes à particule qui changent de sens à la rencontre du moindre petit up, out ou over ? Encore là, l’auteur présume que le lecteur n’éprouve aucune difficulté devant ces écueils linguistiques.

Une mine d’or pour pédagogues

Les pédagogues, par contre, apprécieront à coup sûr son appendice regorgeant de conseils sur l’enseignement de la grammaire. L’auteur explique entre autres pourquoi le choix des exemples est si important et doit s’arrimer au stade d’acquisition de la langue de l’enfant.

Une phrase résume, je crois, l’essentiel de ce livre : There’s a confidence and satisfaction that come from knowing we are in control over the choices that grammar makes available to us. M. Crystal dédramatise et démystifie la grammaire, restée trop longtemps collée dans la gorge de bien des écoliers, et nous vante toute la liberté stylistique que confère sa maîtrise. Voilà ce qu’il appelle le côté « glamour » de la grammaire, ce qui pour moi est plutôt sa « grandeur ».

Un bouquin agréable et informatif donc pour toute personne qui prend plaisir à réfléchir à la langue et qui cherche toujours à la manier avec adresse.

Grant Hamilton, traducteur agréé, est l’auteur du livre Les trucs d’anglais qu’on a oublié de vous enseigner, qui fait un tour d’horizon semblable de l’anglais, mais du point de vue du locuteur francophone qui aspire à jouer avec les nuances de la langue de Shakespeare.