« Pour témoigner de notre appui à nos troupes, le restaurant Cubbie’s ne servira plus de french fries (frites). Nous servons dorénavant des freedom fries (frites de la liberté)
En 2002, avis dans la vitrine du restaurant Cubbie’s de Beaufort (Caroline du Nord, É.-U.)

Pour la plupart des anglophones, la langue française – et le mot French lui-même – est depuis toujours associée à l’élégance et à la douceur de vivre. Un soupçon de français dans sa conversation en dit long sur sa culture, son éducation et son raffinement… Qu’on parle de mode (haute couture), de gastronomie (nouvelle cuisine), de littérature (roman à clef), d’arts de la scène (entr’acte), d’arts visuels (trompe l’œil) ou de politique (coup d’État), les emprunts au français pullulent. Mais ce vernis cache une réalité tout autre que l’éclatement de la guerre en Iraq a révélé au grand jour il y a une quinzaine d’années aux États-Unis…

« Un pays insignifiant »

Selon Pete King, membre du Congrès, les Américains avaient « le sentiment de servir depuis trop longtemps de souffre-douleur à la France, pays somme toute insignifiant. Il ne nous reste qu’à décider de la réplique à donner. »

M. King dit tout haut ce qu’une partie de la population américaine semblait penser tout bas, surtout si on se fie aux réactions en chaîne qu’a déclenchées le refus de la France d’adopter la position du président Bush au sujet de l’Iraq. Bob Ney, à l’époque représentant de l’Ohio au Congrès, a ordonné la suppression du mot French de tous les menus du Capitole. À West Palm Beach, en Floride, un propriétaire de bar a vidé son stock complet de vins français dans la rue en annonçant qu’il ne servirait plus que des vins « provenant de pays qui appuient la politique étrangère des États-Unis ». Des boycottages s’organisèrent, des barrières s’érigèrent, les débats s’envenimèrent.

Ce qu’il faut savoir, c’est que cette méfiance, ce mépris qu’on affichait à l’égard de la France, alimente depuis des siècles le génie même de la langue anglaise!

Qui dit français dit louche

Qualifier quelque chose de French lui confère souvent, en anglais, un côté illicite. À l’entrée du mot French dans l’Oxford English Dictionary, on précise que l’adjectif s’utilise « dans divers noms de maladies vénériennes » : French pox (syphilis) en 1503, French marbles en 1592, French mole (éruption cutanée) en 1607, French measles (roséole) en 1612, amorous French aches (maux d’amour) en 1664, French goods en 1678, French complement en 1688 et French gout (goutte) en 1700. Parfois on qualifie les condoms de French letters (lettres françaises) ou de French caps (capuchons français).

Pendant de nombreuses années, French crown (couronne française) désignait une calvitie provoquée par la syphilis, l’expression to be frenchified (être francisé) signifiait attraper une maladie vénérienne, tandis que French sore (plaie française) en représentait la manifestation physique.

Dans le même esprit, qui ne connaît pas le French kissing, activité indigne d’une jeune Anglaise s’il en est une. En réaction au geste du représentant King, une journaliste du quotidien canadien National Post a proposé aux Américains – à la blague, faut-il l’espérer – de remplacer cette locution par liberty licking (lèchements de la liberté)!

À une certaine époque, on parlait aussi des French postcards (cartes postales françaises) pour désigner les images pornographiques. On disait d’une Anglaise qui cohabitait avec un Français qu’elle était French by injection (Française par injection). Et encore aujourd’hui, pour s’excuser d’avoir lâché un juron, on dit Pardon my French (Pardonnez-moi mon français).

Ces Français qui s’esquivent…

La locution to take French leave (prendre congé à la française) projette elle aussi une image peu flatteuse. Elle trouverait son origine dans la coutume prétendument française de quitter un dîner ou un bal sans saluer ses hôtes. Elle est apparue au lendemain de la guerre de Sept Ans (1756-1763) qui a vu la Nouvelle-France passer aux mains de l’Angleterre. On l’a aussi beaucoup utilisée pour désigner un soldat qui déserte son régiment.

… et qui font l’envie des Anglais

Ces injures mises à part, il est incontestable que les anglophones perçoivent le français comme étant la langue de l’amour. Leur persistance à associer le mot French aux activités sexuelles n’en est qu’une manifestation parmi d’autres. Howard Richler, ancien chroniqueur de la Gazette de Montréal, en donne un exemple plus positif en citant un dialogue romantique tiré du film Bananas de Woody Allen :

  • Woody : I love you, I love you (Je t’aime, je t’aime).
  • Fille : Oh, say it in French! Oh, please, say it in French! (Dis-le en français! Je t’en prie, dis-le en français!)
  • Woody : I don’t know French. (Je ne sais pas le français.)
  • Fille : Oh, please… please! (S’il te plaît! Je t’en prie!)
  • Woody : What about Hebrew? (En hébreu, ça irait?)
  • Fille [déçue] : Oh. (Ah bon.)

Qui dit français dit luxe

On eut beau multiplier les appels au boycottage des produits français aux États-Unis à l’époque, le français n’en est pas moins demeuré synonyme de luxe et de raffinement : French cuisine (cuisine française), French cuff (poignet mousquetaire), French window (porte-fenêtre), French heel (talon français), French horn (cor français). Et qui dit France dit tous les produits dont les riches se passent si difficilement : premiers grands crus, fromages, truffes, parfums, haute couture et autres trésors de l’Hexagone. Le chercheur Tony Judt de la New York University, qui a signé de nombreux écrits sur la culture française, émet l’hypothèse que pour les Américains «  la France représente tout ce qu’ils aiment de l’Europe mais aussi tout ce qui provoque chez eux une certaine insécurité ».

Ce sentiment ambigu que nourrissent les anglophones à l’endroit de la France et des Français s’appelle un love-hate relationship (une relation d’amour-haine). La chanteuse et transfuge américaine Josephine Baker a bien résumé ce sentiment dans le commentaire suivant : I like Frenchmen very much, because even when they insult you they do it so nicely (J’adore les Français, car ils sont si gentils, même quand ils vous insultent.)

Ne vous leurrez toutefois pas. Les Français savent très bien se défendre et calomnier les Anglais à leur tour. Les French letters trouvent bien leur équivalent dans les capotes anglaises. En argot, avoir ses anglais signifie avoir ses règles. Et si un invité osait s’esquiver sans saluer ses hôtes, on n’hésiterait pas à dire qu’il a filé à l’anglaise…!