Chaque groupe linguistique perçoit et décrit la réalité à sa façon. Dans une langue on « perd la vie », dans une autre on « trouve la mort ». « Au premier étage » en France, on se dit « au deuxième » en Amérique.

Chaque langue possède donc des mots qui collent à sa réalité et qui lui sont propres… et qui sont d’autant plus difficiles à rendre dans une autre langue! À preuve, ce premier d’une série de trois billets consacrés aux mots français qui confondent les anglophones et donnent du fil à retordre aux traducteurs.

Acquis (les)

Le mot acquis employé comme nom possède une particularité bien française : il décrit une notion abstraite. On peut parler longuement des acquis sans jamais préciser de quoi il s’agit, car le mot ne signifie rien de plus que ce qui a été acquis.

En anglais, langue concrète s’il en est une, cette abstraction passe moins bien; aucun mot ne correspond exactement à acquis. Mais il existe des façons de pallier cette lacune.

On transforme le nom en verbe…

Il est avantageux d’avoir des acquis
It’s good to have gained something (… d’avoir gagné quelque chose)

On le transforme en participe passé…

La Journée mondiale de l’environnement nous rappelle que l’eau, la terre et l’air ne sont pas des acquis.
World Environment Day reminds us that water, land, and air are not to be taken for granted (… ne doivent pas être tenus pour acquis).

On précise de quoi il s’agit…

Ces acquis profiteront pendant de longues années à la collectivité.
These new facilities will benefit the community for years to come. (Ces nouvelles installations…)

On a recours à une location idiomatique si le contexte s’y prête…

Cet homme a de l’acquis.
This man’s been through the mill. (Cet homme en a vu de dures.)

On élimine carrément le mot…

Ce qu’on ne peut remplacer, c’est l’acquis génétique découlant des croisements au fil des années.
The thing you can’t replace is the genetics and breeding over the years.

Dans le cas de l’Union européenne, on parle souvent de « l’acquis communautaire ». Il s’agit de l’ensemble des règles juridiques ayant permis à l’Union européenne de se constituer, d’où sa traduction anglaise : body of EU law (ensemble des lois de l’UE).

Aménager, aménagement

Voilà deux autres mots d’une abstraction toute française. On fait quoi exactement quand on aménage? On dessine? On construit? On développe? Les Anglais veulent savoir, sinon ils ne pourront vous traduire!

Un exemple : Les autorités n’ont pas l’argent nécessaire pour aménager un quai. Du point de vue des anglophones, la seule façon d’aménager un quai est de le construire. On traduit donc : The authorities do not have the money they need to build a wharf.

On aménage une salle? Le verbe to set up fait l’affaire : La salle a été aménagée de façon à favoriser la circulation des visiteurs (The room was set up to facilitate the flow of visitors). On aménage un programme (on le met en place)? Aménager un programme semblable coûterait cher (It would cost a lot to put a similar program in place).

On peut aussi recourir à une méthode que la langue anglaise affectionne particulièrement : la suppression du mot (Les fonds alloués ont servi à aménager des terrains de golf plutôt qu’à améliorer le système de traitement des eaux usées / The funds went to golf courses rather than sewage treatment).

En définitive, il s’agit de cerner l’action en cours et de la décrire précisément : develop, design, implement, add, establish, arrange, provide, maintain, create… Et voilà votre traduction bien aménagée !

Bilan

Ce n’est pas tant le mot bilan que l’expression faire le bilan qui pose problème en anglais. Aucune traduction passe-partout n’existe, ce qui oblige à choisir parmi une multitude de solutions possibles. Examinons-en quelques-unes.

Faire le bilan de la situation : Find out what the facts are (déterminer « quels sont les faits »); take stock of the situation (faire « l’inventaire » de la situation).

Faire le bilan du chemin parcouru : See how far one has come (voir la distance qu’on a parcourue).

Faire le bilan de l’administration gouvernementale : Judge the government’s performance (évaluer le travail du gouvernement).

Faire le bilan des événements : Give a summary of the events (résumer les événements).

Faire le bilan de ses réalisations : Reflect on one’s performance (considérer ses accomplissements).

Faire le bilan du programme : Indicate how successful the program has been (indiquer dans quelle mesure le programme constitue une réussite); say what response to the program has been (dire dans quelle mesure on a « répondu » au programme).

Faire un bilan rapide : Give a quick overview (faire un survol rapide); give a quick analysis (faire une analyse rapide).

Quand on fait le bilan… : When we look at the situation (Quand on « regarde » la situation); When we add it all up (Tout bien « additionné »); When everything is taken into account (Tout bien « pris en compte »); When we look back at the situation (Quand on « fait un retour en arrière »); When we contemplate the issue (Quand on « examine » bien la question); When we put it all together (Quand on « met tout bien ensemble »); In the final analysis (En définitive).

Quant au terme bilan, record rend souvent l’idée sans plus de formalités, bien que le contexte puisse dicter un mot comme picture (portrait, tableau), history (historique), state (état) et même stewardship (intendance) ou stocktaking (inventaire). Les périphrases sont aussi possibles (Nous sommes fiers de notre bilan / We are proud of what we have done), tout comme la bonne vieille stratégie de suppression du mot (En analysant le bilan des dix dernières années, on se rend compte… / An examination of the last decade shows that…).

Crise de foie

Mystère à la fois médical et linguistique, la crise de foie est inconnue des anglophones. Bien sûr, ils sont parfois incommodés par ce qu’ils mangent (et on le comprend, avec une alimentation pareille!), mais ils ne rejettent jamais la faute sur le foie. Ils souffrent d’indigestion (indigestion) ou de maux de ventre (stomachaches*), ils se disent hung over (un lendemain de veille) et parfois ils prétextent un food poisoning (intoxication alimentaire). Mais le foie, lui, fonctionne toujours à merveille!
* Attention : les ch se prononcent tous les deux comme un k.

Déformation professionnelle

Voilà l’abstraction française toujours à l’oeuvre et toujours aussi rébarbative à la traduction. Pour y arriver, cherchez à exprimer la même idée, mais de manière concrète : C’est de la déformation professionnelle, votre manie de reprendre les anglicismes des autres (You come off like a translator, always complaining about anglicisms). Remarquez qu’on aurait pu dire aussi like a school teacher (comme un enseignant), like a librarian (comme une bibliothécaire), etc., selon le contexte. Cette façon de faire peut mener à d’autres solutions : It’s a holdover from my job (littéralement, « Ça s’inscrit dans le prolongement de mon travail »); I can’t help it, I’m a teacher (Je n’y peux rien, je suis prof); That’s how we lawyers think (C’est comme ça que nous raisonnons, nous les avocats). Tous ces exemples pourraient très bien traduire l’affirmation : « C’est de la déformation professionnelle. »

Le sujet des mots difficiles à traduire en anglais vous intéresse? Lisez plus les deux billets suivants, car il ne s’épuisera pas de sitôt!